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INTERVIEWS
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C3, ZKM & V2 Le C3 de Budapest, le ZKM de Karlsruhe et le V2 de Rotterdam comptent parmi les centres d’art numérique européens les plus actifs. Ils se définissent respectivement tel un Centre pour la Culture et la Communication, un Centre pour les Arts et Médias et un Institut pour les Médias Instables. Ils collaborent fréquemment les uns avec les autres. Ainsi, le C3 et le ZKM se sont associés pour produire l’exposition “Kempelen”, qui se tenait au printemps 2007 à Budapest avant de prendre place à Karlsruhe au début de l’été. Quant au V2, il a fêté son vingt-cinquième anniversaire durant le festival “DEAF”, pour Dutch Electronic Art Festival, à Rotterdam en avril dernier. Wolfgang Von Kempelen (1731-1804) était à la fois un scientifique, un ingénieur et un artiste. Ce dernier est entré dans l’histoire avec son automate joueur d’échec, mais il aurait certainement préféré être reconnu pour ses machines parlantes. L’exposition actuelle du ZKM qui porte son nom offre un regard historique sur ses travaux enrichis par des œuvres d’artistes contemporains. Celles-ci s’articulent autour la relation homme/machine que Kempelen interrogent déjà pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, notamment avec l’automate joueur d’échec. Ce prétendu automate, également appelé “Turc mécanique” car coiffé d’un turban n’était autre qu’une machine à l’intérieur de laquelle un homme se dissimulait. Et c’était bien l’homme qui remportait la plupart des parties d’échec depuis que le dispositif avait été présenté à la cour de l’impératrice d’Autriche en 1770. Datant des années 1790, les machines parlantes étaient quant à elles conçues pour “imiter” la voix humaine.
De la relation homme/machine…
Tous, un jour, nous pouvons être appelés à participer à un jury comme nous pouvons aussi être accusés. C’est de ce rapport entre jurés et accusés dont il est question dans l’installation “Box of Men” réalisée, en 2007, par l’artiste américain Kein Feingold. Une image projetée présente quelques “têtes parlantes” qui émergent d’une boîte, d’une malle pouvant être celle d’un ventriloque. Il y a quelque chose d’effrayant dans cet assortiment de marionnettes aux visages d’enfants dont les tailles sont disproportionnées les unes par rapport aux autres. Mais surtout, lorsqu’elles parlent, seuls leurs mentons se déplacent. Aussi, elles nous apparaissent impassibles et chacune semble avoir une “personnalité” différente. Le spectateur, dès lors qu’il fait face à ces marionnettes de ventriloque dont les monologues inquisiteurs sont composés en temps réel par une application, se transforme en accusé présumé innocent ou présumé coupable. Les questions se succèdent et pourraient se poursuivrent jusqu’à l’arrêt du programme : Qu’a-t-il fait ? Qu’a-t-elle dit ? Qu’ont-ils pensé ? Comment ont-ils réagi ? Puis arrive le verdict : coupable ou non coupable. Et l’on passe à l’affaire suivante. Mais ne pourrait-on imaginer, à l’heure où les machines font irruption dans les bureaux de vote, qu’elles s’immiscent aussi, à grand renfort d’intelligence artificielle, dans les salles d’audience ? Quant à l’artiste, il interroge, au travers de cette installation, « la nature des relations entre l’inconscient et les bases de données ».
… À l’imitation de l’homme par la machine
La notion d’autonomie compte parmi les principales différences qui opposent les marionnettes aux automates. Or, le canular artistique de Kempelen résidait notamment dans la présentation d’une marionnette qu’il prétendait automate. C’est cette ambiguïté que l’artiste hongrois Tamás Waliczky exploite lorsqu’il soumet ses “Marionnettes” virtuelles aux lois de la physique. Des silhouettes humaines à têtes animales s’effondrent sur elles-mêmes. Comme si un marionnettiste avait lâché le fil qui les soutient, mais « il ne s’agit pas d’une animation », explique l’artiste. Ce serait plutôt une « anti-animation ». Tamás Waliczky s’est en effet contenté de soumettre ses créations hybrides à des forces inhérentes à la gravité comme à la friction. Pourtant, ces quelques chimères prennent vie durant leur effondrement, pendant leurs chutes répétitives et variées. Aussi, inévitablement, on s’y projette tels le font les patients auxquels on présente les images fixes d’un autre test nommé Rorchard. On peut ainsi imaginer le travail chorégraphique d’un danseur ou d’une danseuse qui s’articulerait autour de la notion de gravité, ou une série d’étreintes frénétiques lorsque les silhouettes forment des couples, ou encore de mystérieux suicides collectifs lorsqu’il s’agit de l’effondrement d’un groupe entier. L’œuvre, une fois encore reste ouverte et c’est au visiteur de la “compléter”.
Le Dutch Electronic Art Festival
Contrôler les éléments
Le dispositif “Pneumatic Sound Field” du Néerlandais Edwin Van Der Heide est en de nombreux points comparable à celui du collectif canadien. Il a aussi été conçu avant que la pièce musicale qui le transforme en “instrument” ne soit composée. Mais il s’agit là du contrôle d’un autre élément : l’air. La structure métallique qui a été installée au Musée Boijmans Van Beuningen soutient une quarantaine de valves qui relâchent de l’air sous pression selon une partition préalablement écrite. Le son émis y est ainsi spatialisé. Et c’est au spectateur de choisir sa place, ses déplacements au sein d’un paysage sonore en perpétuelle évolution. Et l’on se souvient, les yeux fermés, du bruit que font les systèmes d’arrosage dans les jardins, comme du fracas des grêlons d’une averse d’été sur le toit d’une véranda. Rien, ici, n’accroche le regard puisque tout se joue dans l’invisible. Et la musique expirée par cette architecture “vivante” de nous hypnotiser en des rythmes répétitifs aux multiples variations.
Quand l’image fait corps avec le son La répétitivité est l’une des notions clef du travail de l’artiste français Antoine Schmitt lorsqu’il réalise “World Wide Ensemble” en 2006. Cette installation interactive, exposée au Las Palmas, est issue d’une série nommée “22 cubes ensembles” créée en 2001 en hommage à Steve Reich. Une autre réalisation intitulée “Worldensemble” datant de 2002, n’est autre que la version Internet, accessible à l’adresse “gratin.org/as”, du dispositif présenté durant le festival. Celles-ci s’articulent autour du concept de All-Over initié par l’historien d’art américain Clement Greenberg. Le monde peuplé d’objets cylindriques et autonomes qui se déploie sous nos yeux se poursuit en effet au-delà des limites de l’écran, à l’infini. Les mouvements horizontaux ou verticaux des composants de cet univers mécanique se répètent dans un temps évoquant aussi l’infini. Chaque automate émet les sons de ses propres déplacements. Aussi la synchronisation entre image et son est parfaite. Le spectateur, dans l’exposition comme en ligne, a la possibilité d’explorer cet univers en perpétuelle agitation à l’aide d’un Trackpad. La musique en est évidemment affectée puisque ce que l’on voit est algorithmiquement lié à ce que l’on entend. La recherche d’une zone déserte, dans ce monde surpeuplé d’automates musicaux, coïncide avec celle du silence. D’un silence improbable encadré par des sons qui ne sont plus audibles comme de ceux qui ne le sont pas encore.
Il n’y a pas de place pour le silence dans la performance audio visuelle “Datamatics” donnée au Staal par Ryoji Ikeda en cette soirée de vingt-cinquième anniversaire du V2. Mais du bruit blanc, comparable au son émis par une radio entre deux stations. Les bords de l’image projetée sont occupés par les graduations qu’accompagnent, parfois, quelques unités de mesure. Les objets visuels qui défilent sous nos yeux sont une fois encore intimement liés aux événements sonores. Quelques Glitchs, ou accidents, parfois des sinus dont la pureté nous indique que nous sommes sur la “bonne” fréquence. Tout, ici, s’inscrit dans le temps d’une exploration, d’une recherche. Puis, l’univers installé par le performer prend de l’épaisseur et c’est l’espace qui est scruté dans son entier. Un espace qui, progressivement, est investi par des points émergeants de l’intersection de lignes qui balayent sans cesse sa vastitude. S’agit-il de quelques étoiles connues ou inconnues ? De celles dont nous percevions principalement la dimension sonore durant la première partie de cette exploration ? Il est en effet des étoiles que l’on observe par l’écoute.
Médias variables et médias instables
Les dix disques vinyle utilisés durant la performance “Yokomono” par les membres du collectif Staalplaat Soundsystem ont été “préparés” au préalable. Carsten Stabenow et Geert-Jan Hobijn les ont lacérés au canif, brûlés à l’aide d’un chalumeau ou ont collé des morceaux de bandes adhésives sur les micros sillons. Puis, ils les ont disposés en carré à même la surface d’une table puisqu’ils ne tourneront pas. C’est en effet des camions rouges en modèle réduit qui, inlassablement, effectuent des rotations sur les vinyles durant la performance. Ils sont équipés d’aiguilles. Et c’est grâce à des transmetteurs FM qu’ils communiquent avec des radios. Baptisés “Vinyl-Killer” par les deux artistes, leur vitesse est instable parce qu’ils sont alimentés par des piles. En fait, tout ici est instable : de la lecture des disques à la réception des sons. Pourtant, une musique émerge de ces multiples accidents semis contrôlés. Une musique répétitive principalement constituée d’un assemblage de boucles aux infinies variations. Une musique où les artefacts sonores sont attendus lorsqu’ils ne sont pas provoqués. Une musique instable en cette soirée d’anniversaire du V2 qui se qualifie lui-même d’“Institut pour les Médias Instables”. Article rédigé par Dominique Moulon pour Images Magazine, juillet 2007
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