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 Ce site a été réalisé par Dominique Moulon avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication (Délégation au développement et aux affaires internationales).
 Les articles les plus récents de ce site sont aussi accessibles sur “ Art in the Digital Age”. |
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Selon Benjamin Weil, le commissaire principal de Laboral, l’exposition Feedforward n’est autre qu’une “séquelle” de Feedback, l’exposition inaugurale du Centre d’Art et de Création Industrielle de Gijon, Espagne. Son organisation a été confiée à Christiane Paul, l’une des commissaires du Whitney Museum de New York, et à Steve Dietz, le directeur artistique de la biennale Zero1 de San José, Californie. Et ces derniers, au travers du sous-titre de l’exposition “L’ange de l’histoire” font référence à un essai de Walter Benjamin.
Une esthétique de la simulation
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AES+F,
“Last Riot”,
2007.
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Tout, dans “Last Riot” du collectif russe AES+F, n’est que simulation. Montagnes et rochers, dans le lointain comme au premier plan, sont idéalisés comme dans les peintures de l’artiste italien Andrea Mantegna. Les fuselages des fusées, avions et missiles sont lisses comme le sont les surfaces des modèles 3D avant de recevoir leurs textures. Les acteurs sont jeunes et beaux comme il se doit dans la photographie de mode. Aucun affect ne transparaît sur leur visage bien qu’ils jouent et rejouent sans cesse des scènes d’exécution, armes blanches à la main. Il n’y a ni sueur ni sang dans ce monde idéal dont les décollages de fusées ou missiles et les crashs imminents d’avions en perdition trahissent la fin. Un tel étalage d’une beauté toute publicitaire, dans un espace muséal, dérange quelque peu même si, dans ce cas précis, c’est “pour de faux” comme le disent les enfants qui jouent à la guerre, pas ceux qui la font. Quant aux armes de destruction massives, elles aussi, ont leurs plaquettes de présentation.
L’art d’informer
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Harwood, Wright & Yokokoji,
“Tantalum Memorial - Residue”,
2008.
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“Tantalum Memorial - Residue” fait partie d’une série d’installations, conçues par les artistes Graham Harwood, Richard Wright et Matsuko Yokokoji, qui s’articule autour d’anciens commutateurs automatiques de centrales téléphoniques. Celle présentée à Laboral est imposante par sa taille et l’aspect suranné de ses composants électroniques lui confère une allure des plus mystérieuse. Quant à son titre, il fait référence au minerai que l’on nomme le Coltan et qui contient deux minéraux respectivement intitulés Colombite et Tantalite. Ces mêmes minéraux entrent dans la composition des téléphones portables et autres consoles de jeux. Or 80% des réserves mondiales du Coltan, récemment devenu précieux, se trouvent en République Démocratique du Congo où se déroulent, depuis quelques années, des conflits que l'on nomme aussi les guerres du Coltan. Des conflits ayant déjà fait près de quatre millions de morts dans la plus relative indifférence des médias internationaux. C’est ainsi que le centre d’art de Gijon, après les festivals Zero1 de San José, Transmediale de Berlin et Ars Electronica de Linz, se fait l’écho, au travers de ce mémorial, de massacres auxquels nous participons, sans même le savoir, dans notre usage effréné de téléphones mobiles.
L’auto surveillance
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Hasan Elahi,
“Tracking Transience”,
2009.
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Hasan Elahi, en 2002, a été arrêté par des agents du FBI à l’aéroport de Détroit et ce n’est qu’après une série d’interrogatoires induisant l’usage de détecteurs de mensonge que ces derniers se sont aperçus que l’artiste n’avait absolument rien à se reprocher. Il décide alors d’informer l’agent qui lui a donné son numéro de téléphone avant chacun de ses voyages. Hasan Elahi est très sollicité dans le monde pour évoquer, notamment, le site “trackingtransience.net” qu’il a conçu en 2004 pour éviter la répétition de tels désagréments. Car ce site permet de savoir, en temps réel, où il se trouve via Google Earth. La petite flèche rouge nous dit sa localisation du moment. Quant à ses voyages, ils sont documentés par d’innombrables photographies accompagnées d’informations textuelles. Nous savons ainsi ce qu’il a mangé à bord d’un Boeing 777 de la Continental Airlines allant de l’aéroport de Tokyo Narita à celui de Newark et apprenons qu’il a dépensé 2 dollars et 87 cents dans un Starbucks Coffee de New York le 15 avril 2008. Et cette auto surveillance orientée art de nous faire réfléchir sur les traces numériques que nous laissons derrières chacun de nos pas. Pour peu qu’elles soient traitées dans un bureau du recoupement comparable à celui imaginé en 1985 par Terry Gillian dans Brazil, où il est aussi question d’une arrestation, par erreur !
Révéler la distance
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Trevor Paglen,
“Limit Telephotography”,
2005.
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Trevor Paglen est un artiste chercheur en géographie culturelle qui a récemment publié un livre intitulé “Blank spots on the map”. Celui-ci s’intéresse en effet aux zones secrètes du territoire américain, aux bases militaires telle celle localisée dans la célèbre Area 51 qui a inspiré tant d’auteurs et de scénaristes. Il pratique ainsi ce qu’il nomme la “Limit Telephotography” en utilisant du matériel destiné aux astronomes. C’est donc avec des appareils équipés de téléobjectifs aux focales pouvant atteindre jusqu’à 7 000 mm que Trevor Paglen photographie ce qui se passe dans le lointain. Bon nombre de ses images, aux couleurs quelque peu désaturées, sont alors floues comme le sont les paysages d’arrière-plans en peinture. Les contours des hangars que l’on devine dans un cliché pris à une distance de 18 miles, soit près de 29 kilomètres, sont incertains comme ils le sont dans certaines toiles de Gerhard Richter. Les images de Trevor Paglen représentent l’épaisse couche d’éther qui sépare l’objectif du sujet plus que le sujet lui-même. Elles ne représentent rien d’autre que la mise à distance induit par le secret.
Un journalisme immersif
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Nonny de la Pena & Peggy Weil,
“Gone Gitmo”, 2007.
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Il est maintenant possible de visiter virtuellement le camp de prisonniers de Guantánamo avant que Barack Obama, qui s’y est engagé en 2008, ne le ferme définitivement. Le projet se nomme ”Gone Gitmo” et a été conçu par Nonny de la Pena et Peggy Weil. On peut ainsi déambuler librement, sous Second Life, au sein des camps Delta ou X-Ray reconstitués en 3D. Il nous est même proposé, lorsqu’un agent est disponible, de revêtir une combinaison orange pour mieux incarner un détenu selon un scénario pré-établi où la torture, fort heureusement, est exclue. C’est ce que les deux artistes nomment le “journalisme immersif”. Mais sommes-nous prêts, au-delà des questions liées aux droits internationaux ou tout simplement aux droits de l’homme que soulève cette prison et sachant qu’il est bien des amateurs de jeux vidéo qui choisissent d’être terroristes plutôt que contre terroristes, à incarner un prisonnier dans ce contexte comme nous savons nous projeter dans un personnage de fiction ?
Journaux intimes
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Christopher Baker,
“Hello World”,
2008.
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Les journaux intimes auxquels on s’adressait, dès la première page, en écrivant « cher journal » et dont on protégeait le contenu à l’aide d’un cadenas, sont en train de disparaître. Quant aux videoblogs, qui permettent de s’adresser aux habitants de la planète en commençant par « Bonjour tout le monde », ils se multiplient. Et c’est fort de ce constat que Christopher Baker en a rassemblé quelques milliers pour les diffuser simultanément au sein d’une installation vidéo intitulée ”Hello World”. Or si ces séquences, individuellement, sont souvent d’un relatif manque d’intérêt, leur multiplication donne naissance à une étrange cacophonie audiovisuelle. La répétition d’un objet, quel qu’il soit, l’extrait généralement de son ennuyeuse banalité. Mais l’artiste américain, par cette accumulation, opère d’un renversement. Car ceux qui, dans l’intimité de leur chambre à coucher, croyaient s’adresser au monde entier, ils se retrouvent maintenant immergés dans une foule de gens pendant qu’un unique spectateur peut être situé à la place de la caméra.
Arrogance ou provocation
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Ali Momeni & Robin Mandel,
“Smoke and hot air”, 2007 / 2008.
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Ali Momeni, qui est né à Isfahan et enseigne actuellement à l’Université du Minnesota, considère son installation “Smoke and hot air” telle une « réponse aux incessantes menaces contre l’Iran, ces dernières années, d’une myriade de pays plus fortunés ». Celui-ci s’est associé avec Robin Mandel pour concevoir une étrange machine qui fait de véritables ronds de fumée uniquement quand elle trouve, sur Google News, des phrases incluant : “Attack Iran”. Ces mêmes phrases sont alors automatiquement converties, via une application logicielle de Text-To-Speech, pendant que la partie matérielle de la machine les traduit en ronds de fumée. La salle où est exposée l’œuvre est ainsi remplie d’une épaisse fumée alors que le bruit des clapets en bois de la machine peine à couvrir la voix synthétique qui déclame quelques menaces. Mais quelle arrogance symbolise cette machine ? Celle de présidents de pays occidentaux en mal de gouverner le monde, ou celle d’un autre président dont l’arme préférée n’est autre que la provocation ?
L’ange de l’histoire
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Piotr Szyhalski,
“Labor Camp Study Room D”,
2009.
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Enfin, “Labor Camp Study Room D”, de l’artiste Piotr Szyhalski, regroupe quatre panneaux métalliques équipés de vue mètres, d’interrupteurs entre autres boutons de réglages, et de casques audio. Les spectateurs peuvent ainsi manipuler ces interfaces, à la beauté surannée, pour écouter des archives sonores allant de la seconde guerre mondiale à celle d’Irak. Le contrôle, ici, n’est pourtant qu’illusion car il apparaît rapidement que c’est la machine qui “décide”. Mais c’est bien d’histoire dont il s’agit comme dans cette exposition où son catalogue qui commence par ces quelques lignes tirées des "Thèses sur l'histoire" de Walter Benjamin : « Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus. Il représente un ange qui semble avoir dessein de s’éloigner de ce à quoi son regard semble rivé. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. Tel est l’aspect que doit avoir nécessairement l’ange de l’histoire. Il a le visage tourné vers le passé. Où paraît devant nous une suite d’événements, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers l’avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu’au ciel devant lui s’accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès ».
Article rédigé par Dominique Moulon pour Images Magazine, mars 2010.
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